Qui n'a jamais connu ce sentiment de fébrilité mêlé d'excitation précédant le départ pour la chasse au petit matin, quand le soleil n'émerge pas encore au dessus des étangs noyés sous un manteau de brume s'échevelant parmi les roseaux, alors que le jour pointe à peine et que seule une pâle lueur blême éclaire l'horizon, et tandis que se répondent de loin en loin, blotties sur leurs nénuphars au milieu des lentilles d'eau, les reinettes saluant l'aube marine, et que l'estomac crie famine devant la chaude et croustillante fougasse bien huileuse et pleine de gratons, n'a rien connu.
Ca tombe bien, j'ai pas connu non plus, mais avoir lu "L'enfant et la rivière", parfois, ça aide.
Pour partir à la chasse à la gare, il vous faudra :
- une boussole
- une carte détaillée des lignes de chemins de fer des origines à nos jours, disponible dans toutes les bonnes librairies SNCF
- une bonne paire de jumelles pour suivre le panache de fumée
- un poinçonneur des Lilas
- un ticket pour le quai 9 3/4...
Bon d'accord, les bonnes librairies SNCF, ça ne se trouve pas sous le sabot d'une mule (et puis allez trouver une mule, de nos jours). Donc, le mieux est encore de vous munir d'une bonne carte IGN, d'une voiture avec chauffeur (ou guetteur, au choix), et si vous arrivez à dégotter ça, d'une personne qui aura connu les lignes disparues, ou les aura au moins vues avant qu'on ne retire les rails. Ca peut être un bon début. Quant au GPS, oubliez : on part à l'aventure.
Et puis si vous êtes courageux, il vous faudra une bonne paire de chaussures de marche pour suivre la voie ferrée au bout des rails comme l'ont si bien chanté Joe Dassin et Francis Cabrel. Quoique eux ils aient plutôt eu des bottes.
1er Objectif : repérer approximativement l'ancien tracé de la voie, et conjecturer sur les villages traversés. Puis visiter le coin.
Une fois qu'on a trouvé l'une des gares, le mieux est encore de suivre les vestiges encore apparents de la voie. D'où l'utilité du chauffeur.
Tandis que l'un conduit, l'autre reste à l'affut des morceaux de rails restés incrustés dans le goudron de la route là où il y avait un passage à niveau, des anciennes maisons de gardes-barrière à l'architecture typique, bien qu'elles aient souvent été transformées en ravissantes petites maisonnettes d'habitation, des talus et des fossés symptomatiques du passage d'une voie.
La morphologie du paysage trahit très souvent sa présence : là où la route descend tandis qu'un talus massif s'élève sur le côté de façon à conserver une ligne horizontale, ça met la puce à l'oreille. Et si en plus le talus s'interrompt un instant pour laisser place à une passerelle en fer enjambant un chemin ou une route secondaire, c'est gagné! Vous n'avez jamais remarqué? Nos campagnes sont pleines de petites curosités dans le genre. Parfois, les travées de bois sont encore là, parfois seulement les pierres blanches du ballast qui forment encore un chemin dégagé que l'on peut suivre sur quelques kilomètres (et qui permet par la même occasion de se prendre pour Cabrel!).
C'est donc comme ça, qu'un après-midi de novembre, nous sommes partis à la découverte de la ligne désaffectée "Les Mazes - Sommières", entre l'Hérault et le Gard, de village en village, suivant les petites routes de campagne en tâchant de ne pas perdre de vue le long serpent qui autrefois coupait droit à travers vignes, vergers et garrigue, devinant parfois seulement le tracé, puis faisant un demi-tour subit parce qu'un nouvel indice nous avait attiré l'oeil ou parce que les amortisseurs de la voiture révélaient à nouveau la présence des rails. La plus grande satisfaction : à force de suivre ce fil conducteur parfois ténu, déboucher soudain sur ce que nous cherchions : une gare !
Un vrai travail de Sherlock Holmes. Un vrai jeu de piste, passionnant au final.
Mise à jour : ajout des photos de l'ancienne gare de Sommières dans l'album "Ligne Les Mazes - Sommières".